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Équilibre vie pro, vie perso : au cœur d’une dystopie avec la série Severance

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Équilibre vie pro, vie perso

« Au travail, on laisse les problèmes à la porte ! ». Cette expression n’a jamais eu autant de résonance que dans la série Severance réalisée par Ben Stiller et disponible depuis mars 2022 sur Apple TV+. Après la crise sanitaire et ses conséquences sur l’organisation au travail, l’équilibre entre vie pro et vie perso est devenu une priorité pour les DRH. A-t-on enfin trouvé la solution miracle pour maintenir l’harmonie entre ces deux sphères ? On explore cette question dans les prochaines lignes.

Severance ou l’art de séparer le bureau du dodo


Dans une salle de réunion vide, une jeune femme se réveille allongée sur une table. Une voix émanant d’une machine lui demande alors de répondre à cinq questions d’une enquête, dont « qui êtes-vous ? » et « quelle est la couleur des yeux de votre mère ? ». Helly (Britt Lower) reste alors sans voix et pour cause : elle n’a plus aucun souvenir de sa vie personnelle.


Rassurez-vous, l’oubli n’a rien d’un hasard puisqu’elle a accepté d’effacer temporairement ces souvenirs, comme tous ses collègues de Lumon Industries. Et oui, cette entreprise ambitieuse a eu l’idée de génie d’implanter une puce dans le cerveau de ses salariés pour cloisonner leur vie professionnelle et personnelle. 


Désormais, l’accès aux souvenirs est déterminé par l’endroit où se trouve la personne : les murs de l’entreprise ou ceux de son domicile. Une fois dans l’ascenseur qui mène au bureau, seul le travail existe. À l’inverse, en dehors de l’open-space, les collègues se métamorphosent en parfaits inconnus et les soucis professionnels s’évanouissent.


La dissociation entre vie pro et vie perso : un scénario idéal ?


Transposée dans le monde réel, la solution envisagée dans Severance semble d’abord enviable. Si on y réfléchit, la dissociation entre vie professionnelle et vie privée constitue un remède efficace pour lutter contre le fléau du burn-out et des risques psychosociaux associés à une activité stressante ou insatisfaisante. Les problèmes liés au travail disparaissent comme par enchantement et les salariés sont libres de profiter de leur temps libre sans avoir besoin de « déconnecter ». 


De la même manière, les personnes traversant une crise ou tentant de surmonter un traumatisme dans la sphère privée peuvent laisser derrière elles ce bagage émotionnel et continuer à travailler sans difficulté. Il suffit d’une petite intervention chirurgicale irréversible pour « avoir le cœur à l’ouvrage » en toutes circonstances. La motivation d’un des personnages, Mark Scout (Adam Scott), se situe justement là, dans l’oubli de son chagrin personnel.


Sur le papier, tout fonctionne à merveille, enfin, sauf si on regarde entre les lignes. Dans ce scénario idyllique, comment fait-on pour démissionner d’un travail qu’on déteste quand son « soi » hors du boulot ignore tout de cette réalité ? 


D’autre part, le cloisonnement empêche aussi aux deux mondes de s’enrichir et d’interagir. On n’est pas sans savoir que les rencontres de la sphère privée peuvent inspirer professionnellement, tout comme les compétences personnelles servent au travail. En supprimant les émotions qui « parasitent » la vie professionnelle, le boulot se résume seulement à une recherche de productivité et de rendement, ce qui n’est pas bien glorieux…


Par ailleurs, la dissociation pose de véritables problématiques morales, éthiques et de sécurité. On ne donnera qu’un exemple : n’est-ce pas un excellent moyen de mener des activités obscures sans que les salariés puissent les questionner à l’extérieur ? On rappelle que les deux personnalités cohabitent sans jamais rien connaître l’une de l’autre. On est d’accord, ça fait froid dans le dos et ce ne sont pas les protagonistes qui viendront nous contredire.


Vous l’aurez compris, la résolution de l’équilibre entre vie pro et vie perso ne se réglera sûrement pas chirurgicalement, et c’est tant mieux ! En tout cas, on attend impatiemment les prochains épisodes de cette série qui n’a pas fini de bousculer nos idées reçues sur le travail.